dimanche 1 avril 2012

Migration de ce blog

Chères lectrices, chers lecteurs,

Ce blog va être archivé. Mais l'expérience Neucfubes continue dans un nouveau blog, qui réunit toutes les équipes de joueurs. Nous vous donnons rendez-vous à l'adresse suivante:


"Persons attempting to find a motive in this narrative will be prosecuted; persons attempting to find a moral in it will be banished; persons attempting to find a plot in it will be shot."
Mark Twain

vendredi 9 mars 2012

Episode 10

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “A l'intérieur, il fait chaud. Ca sent le poulet, les oignons, peut-être les pommes de terre. Le frigo cache une mousse au chocolat. Nous le savons. Mais la table n'est pas mise. La cuisine, si chaude, est glaciale. La mère envoie la première flèche.
- Quelle heure est-il, les filles ? Ai-je un problème d'horloge ?
Elle attrape, lèvres serrées, main sèche, rapide, le poignet de Lorette. Regarde la montre. Regarde l'horloge du salon.
- C'est bien ce qui me semblait. L'heure est la même pour tous. Tu pensais que c'était quoi, ça, ma chérie ? Une boussole ? Une rose des vents ? Un baromètre ? Tu veux que je t'apprenne à t'en servir ?
Une claque.
Et le silence.
- Vous ne dites rien ? Très bien. Vous ne mangerez pas. Montez tout de suite.
La deuxième flèche ? La voilà.
- Et séparément. Que je n'entende pas un bruit. Pas un murmure. Ou c'est le petit déjeuner qui saute. De toute façon...
Elle brandit, enfin souriante, de sa main gauche, la clé.
- Je vous enferme.
Elle tourne le dos. Derrière, Lorette regarde Valentine et esquisse, de ses lèvres rieuses, sans un son
- Baguette magique.” (Jessica Thomas)


(Suite de l’histoire n°2) “” (Fr.)


(Suite de l’histoire n°3) “Sabou se retrouva à nouveau en marge des autres enfants du quartier, à la différence toutefois que j'avais désormais gagné sa confiance. De la fin de l'école jusqu'à 18 heures, nous passions notre temps ensemble et notre royaume était la rue. C'est là que ce garçon si secret m'ouvrit la porte de ses propriétés. Les récits qu'il me livrait de sa petite enfance me faisaient franchir l'océan, et j'ignore si ce qui me déboussolait le plus était l'étrangeté de ses histoires exotiques ou bien l'éveil dans mon cœur d'un sentiment nouveau qui venait me bousculer jusque dans mes rêves. ” (Fabrice)


(Suite de l’histoire n°4) “De retour chez lui avec son chat Marcel, le professeur Duplessis entrepris de défaire les valises qu’il avait laissées quasiment intactes depuis son retour. Il songea un instant qu’il lui aurait suffit d’y replacer sa trousse de toilette et un peu de linge propre pour être prêt à repartir, pour disparaître comme d’un coup de baguette magique, loin des souvenirs, des policiers, des intrigues de Charles et des détectives. Il enverrait en toute hâte une carte à Marie-Reine depuis l’aéroport, pour l’avertir de son départ mais sans lui dire où il s’en allait ni quand il reviendrait. Il faudrait qu’elle prenne encore un peu soin de Marcel si elle le voulait bien. Ou qu’elle le prenne tout court, après tout. Il était presque 14h, en sautant tout de suite dans un taxi il pourrait bien attraper un vol pour…disons…tout en spéculant, il se représentait mentalement une carte du monde qu’il parcourut en tout sens comme du doigt. Oui, voilà, Zanzibar.
Marcel, en se frottant trop affectueusement à l’une de ses extrêmités, fit basculer l’une des valises qui se retrouva sur le dos, roulettes en l’air comme un gros coléoptère renversé incapable de se remettre d’aplomb. Il détala aussi sec vers le fond de l’appartement. La surprise avait suffit à ramener le professeur Duplessis au moment présent. Il redressa la valise, et mis quelques instants avant de se souvenir du code permettant d’en ouvrir le cadenas. Pourquoi diable n’avait-il pas choisi un bête modèle à clefs ! La valise s’ouvrit avec un soulagement, il sembla au professeur Duplessis qu’elle avait exalé quelques kilos d’air. Sur le dessus se trouvait son carnet de notes. En l’ouvrant machinalement, il tomba sur une page quasiment vierge, seule une flèche qu’il avait lui-même tracée renvoyait à un nom et un numéro de téléphone. Ceux du détective.
” (AB)


(Suite de l’histoire n°5) “Quand l’américaine fit mine de vouloir quitter les archives, P. s’empressa de rendre son manuscrit, réunit ses affaires et rendit au responsable de salle la petite pancarte portant la lettre L pour libérer son pupitre. Il comptait entamer la conversation avec l’ancienne hippie au nom homérique dans le vestiaire, mais elle était partie d’un pas rapide. L’horloge sonna une heure. Il disposait encore d’un peu de temps avant le rendez-vous avec La Torre. Son texte était prêt, il n’avait pas envie de passer par l’hôtel. Il décida donc de la suivre. L’américaine se faufila dans les rues autour de la cathédrale, toujours d’un pas vif, puis arrivée à une place, elle entra dans une boutique. À la grande mappemonde exposée en vitrine, P reconnut la librairie de son vieil ami Joan : La rosa dels vents. Il attendit un bon moment à l’extérieur, un œil sur le spectacle de magie qui captivait les touristes et leur progéniture sur la place, l’autre sur la librairie. Deux coups retentirent. 13h30. L’américaine sortit, presque immédiatement suivie du libraire. Tandis qu’il fermait la porte pour aller déjeuner, P. l’interpella :

-Bonjour, Joan.
-Paco! (C’était l’une des rares personnes qui s’autorisaient avec lui une telle familiarité.) Quelle surprise !
-Un colloque monté par La Torre.
-Viens, viens, allons prendre un verre. Tu ne devineras jamais ce que je viens d’acheter ! Tu la connais, toi, cette Iris Beetle ?” (AF)

Episode 9

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Sur le pas de la porte, la mère. Elle dessine une ombre noire dans un rectangle clair, au milieu de la nuit. On la voit de loin. Comme un feu dans le désert.
Valentine ralentit le pas. Tire sur la main de sa soeur.
- Tu le savais ! Tu savais que maman serait fâchée. Tu as voulu qu'on reste, peu importe maman. Alors on y va.
Valentine respire vite, plus vite, ses épaules se soulèvent, elle renifle.
- Mais, mais, moi, j'ai pas de donjon comme tu avais toi, pour me cacher dans les livres. Moi, moi, les flèches de maman, elles arrivent directement, toutes, j'ai pas de murailles, moi, moi...
- Non Valentine. Tu ne vas pas pleurer. Pas maintenant. Tu es grande maintenant. Et tu sais que maman est toujours plus fâchée quand on pleure. Tu n'as pas de donjon ? Je te construirai un tipi avec tes draps, même si on ne mange pas, même si maman se fâche trop fort, tu seras au chaud, dans un autre monde. D'accord.
Valentine renifle, juste un peu, tout doucement.
- D'accord.” (Jessica Thomas)


(Suite de l’histoire n°2) “” (Fr.)


(Suite de l’histoire n°3) “Cette après-midi de printemps, nos deux bandes se faisaient face et s'excitaient mutuellement autant par hargne que par jeu. Ces périodes de bravades verbales constituaient l'essentiel de l'affrontement, le combat physique, déclenché par une provocation jugée insupportable par l'un des deux camps, étant généralement des plus brefs. Ce fut Benoît qui réagit au défi lancé par une grande fille hirsute qui, campée sur ses pieds nus, le narguait. Avec toute l'inconscience de son jeune âge - aujourd'hui d'y repenser me fait frémir -, il envoya, tel un discobole grec, une lame de scie circulaire dénichée à la décharge en direction de l'ennemi. Le disque fendit l'air et passa au ras de la chevelure de la fillette, mettant fin non seulement aux exclamations bruyantes dont se gratifiaient les jeunes guerriers ce jour-là, mais également aux rencontres belliqueuses autour desquelles nous nous confrontions à ces enfants du voyage. Tout le monde comprit que quelque chose de grave s'était passé, et nous nous quittâmes définitivement dans un silence de plomb. Quelques jours plus tard, le feu prit dans les broussailles du terrain vague, contaminant rapidement le bosquet de sapins sur lequel s'appuyait le camp gitan. Cet incendie probablement dû à notre négligence - nous jouions fréquemment aux pétards et l'un d'eux avait du mal s'éteindre - nécessita l'intervention des pompiers et le déplacement du campement manouche. Il ne fut pas possible de mettre nos masques d'enfants sages ce soir-là lorsque nous rentrâmes chez nous, car ils auraient juré avec le képi du policier municipal et le casque du capitaine des pompiers qui nous raccompagnèrent auprès de nos parents. La seule façon de minorer la punition fut de faire retomber la responsabilité de l'incendie sur Sabou Niyouma, une version des faits qui fut facilement avalisée par la majorité des familles du quartier.” (Fabrice)


(Suite de l’histoire n°4) “Raton roulait à vive allure dans ce qu’il pensait être la direction de Kirusaaq. Il n’était jamais entré de sa vie dans une réserve indienne, et s’attendait en toute naïveté à vivre les aventures de Yakari grandeur nature. Un employé de station service, chassant les coquerelles derrière son comptoir tout en vidant des bières, lui appris qu’il était arrivé à bon port. Pas de tipis, ni de gars emplumés avec des carquois plein de flèches, dansant autour d’un feu de joie. Raton cacha mal sa déception. Quelques baraques en dur où l’on regardait sagement la télévision, des nuages de moustiques, et c’était tout. Au dépanneur qu’on lui avait indiqué, Raton pris deux packs de Kilkenny Castle blondes, un sac de patate, des dizaines de barres chocolatées et un rôti de bison de trois bonnes livres. Le bruit mou de la viande sanguinolente jetée sur le plateau de la balance lui évoqua un curieux souvenir. Il avait faim.” (AB)


(Suite de l’histoire n°5) “F. ne resta pas longtemps sur le pont. Elle continua à peser devant un Gin tonic ce qu’elle allait dire à Alex, en feignant d’écouter ce que lui racontait le barman du Scarabée (c’était le nom du bar), puis s’enferma dans sa cabine. L’alcool et le tangage rendirent sa nuit agitée. Sa tête bourdonnait et les images se succédaient. Elle voyait la maison de Vallvidrera, des visages familiers et inconnus, I dans sa robe rouge ; elle entendait les éclats de rire d’Alex et, toujours, ce vrombissement continu et angoissant. Puis venaient les tours du chemin de ronde de Sant Feliu, les feux de la Saint-Jean, la tente construite dans le jardin des grands-parents, le bleu sombre et inquiétant que prenait la mer les jours de vent d’Est et, au loin, une voix, sa voix d’enfant, qui criait dans une autre langue : « Jordi…. ! ». Elle se réveilla en sursaut. Il était 8 h et le ferry entrait dans le port de Majorque. ” (AF)

Episode 8


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “- Mais ça suffit pour aujourd'hui. Il fait nuit maintenant, il n'y aura plus d'arc-en-ciel. Et puis tu peux facilement imaginer la suite, non ?
- Non non non non non ! Je peux pas du tout imaginer la suite c'est pas vrai ! La grosse main, elle est devenue quoi ? Et la petite fille, est-ce qu'un jour elle choisira le masque qui rit, au lieu du masque qui pleure ? Elle a l'air si triste, dans ma tête, comme si elle portait toujours deux grands yeux noirs infinis, qui noient tout de peur. Les livres ils vont tout sauver ?
- Valentine ! Mais ! Tu poses trop trop trop de questions ! Comment veux-tu que je te raconte autant d'histoires ? Je suis sûre que tu as assez d'images, de battements de cœur et de couleurs folles à l'intérieur de toi pour créer toi même la suite de l'histoire. C'est souvent beaucoup mieux tu sais ! C'est aussi ça qu'elle a découvert ! Qu'il n'y a jamais de fin. Les histoires se poursuivent à l'intérieur du ventre. Allez, finit ta pomme et on rentre.

Valentine crache les pépins lentement, un par un, dans sa main, puis les jette dans l'herbe. Elle se lève très doucement, regarde autour d'elle, comme si elle avait peur d'oublier quelque chose. Et lance le trognon très loin, vers le ciel plein d'étoiles. Lorette prend la main collante et sucrée de Valentine et l'entraîne vers la maison aux fenêtres éclairées.” (Jessica Thomas)


(Suite de l’histoire n°2) “” (Fr.)


(Suite de l’histoire n°3) “Notre bande était organisée sur un mode quasi-militaire - en grande partie en raison de l'appartenance de Benoît, notre sous-chef à une brigade des louveteaux - et les rares, mais intenses confrontations avec les jeunes gitans, donnaient lieu à d'homériques combats. Arborant des armes hétéroclites, prélevées à la décharge sauvage qui jouxtait le camp manouche, nous partions à l'assaut de l'adversaire, et les pétards expédiés par les lance-pierres des artilleurs arrosaient l'ennemi tandis les coups de bâtons pleuvaient avec la plus extrême sauvagerie sur les plaques de chaudières en tôle qui faisaient office de bouclier. Cette guerre absurde n'avait d'autre motif que la différence : nous étions nous, et les gitans étaient les autres ! Lorsqu'en fin de journée, nous rentrions dans nos foyers, nos parents ne se doutaient pas que sous nos faces angéliques d'enfants de chœur étaient tapis d'autres visages, teigneux, belliqueux et hostiles à tout ce qui était étranger au quartier. Durant cette période, Sabou et moi connûmes un rapprochement muet mais réel, fiers tous deux d'être acceptés dans ce groupe, moi la seule fille de la bande, et lui le garçon qui n'était pas comme les autres. Mais des événements dont les conséquences auraient pu être dramatiques mirent fin à cette période d'apaisement.” (Fabrice)


(Suite de l’histoire n°4) “Le drôle de trio parvint à destination à la tombée de la nuit. Raton, qui avait somnolé la majeur partie du trajet sur la banquette arrière, était surexcité. Il tournait autour de La Pelure comme un maudit moustique. Pour s’en débarrasser, celui lui remit quelques billets et la mission d’aller les approvisionner en alcool, cigarettes et nourriture auprès du village indien le plus proche. « Mais qu’est-ce que tu as à tirer une gueule pareille ? On s’en est royalement sorti jusque là ! » demanda Nestor qui avait déjà ouvert la moustiquaire donnant sur le balcon, et farfouillait dans la serrure de la porte d’entrée. « C’est l’autre dégénéré qui me rend nerveux. Y’ parle trop, il va finir par tout faire foirer. Mais je te jure que s’il a le malheur de l’ouvrir, y’ va avoir affaire à moi ! » menaça La Pelure, en refermant violemment le poing sur une gorge imaginaire. « C’est vrai que c’est pas une lumière le Raton, mais c’est pas une balance, pour sûr. », temporisa Nelson. Lui, c’était plutôt La Pelure et son humeur ombrageuse qui l’inquiétaient. Le coup était fait, et ils l’avaient bien fait. Il était trop tard pour avoir des regrets, ou des remords. Et c’est Raton et lui qui lui avait offert cette opportunité d’agent facile, faudrait peut-être voir à pas l’oublier. Si La Pelure se mettait à vouloir faire la pluie et le beau temps, les masques allaient vite tomber.” (AB)


(Suite de l’histoire n°5) “À sa droite, au pupitre L, une sorte de crapaud à lunettes, qui paraissait tout droit sorti de la Regenta, était plongé dans l’étude de ce que P. identifia comme un inventaire de bibliothèque du XVIe siècle. L’énergumène frétillait sur sa chaise et poussait de temps en temps des petits cris d’autosatisfaction, moment où il bondissait sur son ordinateur pour y consigner, en martelant son clavier, l’information recueillie. A l’autre bout de la table, un italien entrait et sortait intempestivement de la salle pour répondre à son téléphone. En face de P., le pupitre M, envahi par la panoplie Apple, était occupé par une belle femme d’une soixantaine d’années au fort accent américain. Malgré son style bohème prononcé (à la voir, on l’imaginait aisément quarante ans plus tôt, campant dans un tipi à Woodstock), P la trouvait appétissante. Son nom, qu’il avait réussi à deviner en lisant à l’envers, depuis son pupitre, sa carte de lectrice, le plongea un instant dans de douces rêveries homériques (elle s’appelait Iris). P n’avait aucune envie de se remettre à l’étude des masques. Alors qu’il s’apprêtait à ouvrir le manuscrit que venait de lui remettre le bibliothécaire, le crapaud hurla, abandonna ses impedimenta sur son pupitre, manqua de renverser l’italien en sortant en courant de la salle. P et la sexagénaire hippie s’interrogèrent du regard. Les cris du crapaud retentissaient dans l’escalier monumental. « Une guêpe, une guêpe, je me suis fait piquer par une guêpe » ” (AF)

mercredi 7 mars 2012

Episode 7

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “- Françoise est bibliothécaire. Elle a les cheveux rouges et courts, des grandes lunettes papillon bleues, et une cane. Elle a eu un problème de genou, et depuis elle ne marche pas bien. Ca lui donne une drôle d'allure, clopin, clopant, qui va très bien avec son rire. C'est elle qui est venu voir la petite fille, alors qu'elle errait, l'air triste, entre les rayons botanique, science et technique de la bibliothèque.
- Tu aimes les fleurs ?
- Oh oui, beaucoup ! Mais les histoires de ces fleurs ne sont pas drôles. Souvent, le soir, quand je lis sous ma couette, avec ma lampe de poche, je m'endors avant la fin. C'est pas vraiment des histoires, si ?
- Non, c'est pas des histoires. Même si ça raconte beaucoup de choses. Tu veux des belles histoires ? Tu sais qu'on a plein de livres pour les enfants, en bas, plein d'images, plein de fleurs aussi.
- Oui, je sais, mais ça m'endort aussi, un peu. Je voudrais que les personnages me parlent plus pour de vrai. Qu'il y ait un vrai monde. Il y a des histoires comme ça ?
- Oh oui ! Des tas ! Si tu veux, je peux te faire lire mes livres préférés, à moi. Il n'y a pas toujours des fleurs. Mais un vrai monde, oui.
- Sans monstres dans les ombres ? J'aime pas les monstres, les ombres.
- Sans monstres et sans ombres. Des histoires pleines de lumières. Qui font comme une deuxième maison, où on oublie tout.
- Alors, tous les mercredis après-midi, la petite fille allait voir Françoise. Elle lui offrait un chocolat, un livre, et elles parlaient, riaient, dessinaient. La petite fille avait découvert le roman.” (Jessica Thomas)


(Suite de l’histoire n°2) “Le vieux n'avait pas répondu au Cafard. Il sortit en titubant du
Mouton Tordu. Sans avoir bu plus qu'un petit marc, il voyait les
maisons à l'envers. Les lumières l'aveuglaient, projetant des ombres
monstrueuses, de grosses fleures boutonneuses le guettaient dans les
coins. Il fit d'un vieux bâton une canne pour rentrer chez lui ; mais
l'eau qui semblait passer par-dessus le pont-au-Couillon l'attirait
comme un aimant. Il perdit connaissance. En rouvrant l'oeil, la
première chose qu'il vit la face désolée et inquiète du Jeune Garçon.” (Fr.)


(Suite de l’histoire n°3) “C'est ainsi que Sabou devint nos yeux et nos oreilles et que, peu à peu, fut franchie la distance qui nous séparait de notre camarade. Faisant fi de toute crainte, juché sur un épais sapin surplombant le camp gitan, il nous rapportait quantité d'informations que notre imagination enfièvrée avait tôt fait de transformer en fantasmes les plus délirants. Et, du fond de notre cabane - un fossé recouvert de planches au milieu desquelles un pneu constituait l'unique ouverture -, nos conversations d'enfants roulaient, transformant les gens du voyage en créatures fantastiques, ogres, vampires ou loup-garous, témoins de nos angoisses les plus secrètes et de nos préjugés.” (Fabrice)


(Suite de l’histoire n°4) “Après avoir feint l’indifférence pendant un bon quart d’heure, mais incapable de résister à l’attraction de l’odeur et de la voix familières, le chat Maurice avait fini par sauter sur les genoux de son vieux maître. Encore dix minutes, et il consentirait à ronronner.
Le visage du professeur Duplessis s’était assombri. Pauvre Geneviève, dont plus personne ne fleurissait la tombe qu’un ancien amant dont elle avait dû oublier le nom, mais qui savait la faire rire les soirs de camping au bord de l’eau, en grimaçant au dessus de sa lampe de poche.
- Comptez-vous donc le rencontrer, ce détective ? demanda Marie-Reine.
Duplessis revint à lui.
- Oh, au point où en sont rendues les choses, je pense que oui. Cette histoire m’intrigue, j’aimerais comprendre, je vais lui donner rendez-vous chez moi. S’il porte un imperméable et un feutre mou, ça donnera l’occasion aux voisins de jaser.
” (AB)


(Suite de l’histoire n°5) “Le ferry d’F. avait largué les amarres à 20h. La terre s’éloigna puis disparut. Partout autour d’elle la mer. Dans les derniers rayons du soleil on pouvait voir danser des dauphins. Elle ne regrettait finalement pas d’avoir pris par erreur le mauvais avion. La traversée lui permettrait de mieux méditer ce qu’elle allait dire à Alex. Il ne soupçonnait sans doute pas qu’elle avait découvert sa relation avec I., que le bouquet envoyé à l’Autre lui était parvenu à elle. Ils avaient dû se rapprocher en travaillant sur le chantier du nouvel accélérateur de particules (elle croyait se souvenir qu’il lui avait présenté I. comme étant ingénieur spécialiste des phénomènes électro-magnétiques). Della linterna, c’était son nom. Une italienne installée à Barcelone mais qui, comme Alex, passait tout son temps à Genève. Elle se souvenait de la soirée organisée dans la maison de Vallvidrera l’été dernier. I. y portait une magnifique robe rouge Une belle femme incontestablement. Sur le pont, un jeune père jouait à effrayer son bambin en imitant un monstre tandis que le grand-père à la canne contemplait lui aussi la mer.” (AF)

dimanche 4 mars 2012

Episode 6


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “- Oh ! Elle avait appris à lire ? Toute seule ? Elle lisait quoi ?
- Hihi ! Dis-donc, t'es drôlement impatiente d'un coup toi ! Oui, elle avait appris à lire. En observant les adultes, en posant un gros point d'interrogation sur son visage devant chaque panneau publicitaire, chaque enseigne de magasin, pour que sa maman lui dise le mot magique : "Epicerie", "L'Oréal". Et elle répétait tout doucement, très lentement, en regardant le mot avec les yeux plissés, très sérieusement : "é-pi-ce-rie." Et ça avait marché. Par contre, ce qu'elle lisait ! Tout et n'importe quoi, vraiment ! Portenaouak !
- Hi hi ! Dis, dis ! Qu'est-ce qu'elle lisait !
- Bien enfermée dans sa chambre transformée en petit donjon perso, à la lueur d'une ampoule pas toujours bien vaillante, elle s'est d'abord attaquée aux histoires de détectives. Pas du Sherlock Holmes, non ! Des histoires pour enfant trouvées à la bibliothèque, gonflées de traces de pas dans la boue et de loupes révélatrices de gouttes de sang et de cheveux, des histoires mal ficelées, aux personnages un peu niais, mais des histoires. Un peu enflammée par tout ça, elle a décidé d'abandonner le rayon enfants. Elle lisait alors des livres sur les plantes et les animaux, des trucs scientifiques incompréhensibles sur des machines et des planètes, tout ce qu'elle ramassait chez les adultes. Mais les histoires lui manquent. C'est à ce moment-là qu'elle rencontre Françoise.” (Jessica Thomas)


(Suite de l’histoire n°2) “Avec ses discours ampoulés, Hein-le-Cafard voulait sûrement lui jeter
un tour. Le vieux pourtant se défendait pied à pied, mais chaque fois
qu'il objectait quelque chose, le Cafard prétendant lui faire une
fleur, empoignait son boulier pour lui calculer une plus grande part
des bénéfices. À la loupe, le vieux scrutait les clauses tacites et
funestes, pressait Hein de questions, tout en guettant furtivement aux
alentours, craignant et espérant à la fois identifier une balance
notoire. Et puis, il y avait dans son crâne tête comme un sifflement
exténuant, les lui mots venaient à l'esprit et à la bouche dans un
ordre et une forme étranges et confusément menaçants.
"Troublé, le vieux, hein ? Tu sens ça, toi aussi, dans ta tête, hein ?
C'est la Chose : rien que d'en parler, déjà, elle agit, hein ? Mais la
nuit prochaine elle sera à nous, hein ?"” (Fr.)


(Suite de l’histoire n°3) “Les cours de gymnastique avaient permis de mettre en avant les talents acrobatiques de Sabou, en particulier l'agilité déconcertante avec laquelle il grimpait à la corde, et je me faisais fort de démontrer à mes camarades que ses capacités physiques hors normes étaient indispensables à notre petite bande. Le terme bande est ici à comprendre dans celui de Louis Pergaud lorsqu'il imagina sa très rabelaisienne Guerre des boutons. Nous étions une assemblée d'enfants rangés sous la même bannière et, comme toute bande qui se respecte, nous combattions un adversaire digne de nos dix ans, en l'occurrence les rejetons d'un camp gitan installé sur un terrain vague qui jouxtait le quartier. Dans nos esprits bouillonnant d'imagination, les arbres devenaient forteresse, la moindre trace de pas dans la boue donnait lieu à une enquête serrée et, si les confrontations directes avec les jeunes gitans étaient des plus rares, nous vivions un état de guerre permanent autant rêvé que vécu. Et, comme pour toute guerre, l'important est le renseignement, je démontrai à mes camarades que l'agilité de Sabou Niyouma, qui lui permettait d'atteindre le faîte des arbres surplombant le camp manouche, faisait de lui un espion de premier choix.” (Fabrice)


(Suite de l’histoire n°4) “Sur le chemin du retour, le professeur Duplessis se fit arrêter au pied de la grande tour d’habitations du 3456 de la rue Sherbrooke. Il était temps qu’il récupère son vieux chat, Maurice, qu’il avait laissé en pension avant son voyage en Europe, chez sa vieille amie Marie-Reine. Un bouquet de fleurs en main, il se présenta à la porte de son appartement. L’ancienne bénédictine défroquée l’accueillit avec effusion, abandonnant la partie d’échec qu’elle était en train de jouer contre elle-même. Duplessis n’avait jamais bien compris comment il était possible de se livrer à des jeux de stratégie contre soi-même – où était le plaisir d’ourdir secrètement des plans, d’anticiper les intentions et les ruses de l’adversaire, et surtout, le plaisir de gagner ?
- Quelles nouvelles de la vieille Europe ? s’enquit-elle en arrangeant les fleurs dans un vase.
- Moins spectaculaires que celles que je viens d’apprendre ce matin. Saviez-vous, pour Saute-Rivière ?
- J’ai appris ça dans le journal.
Le professeur Duplessis se taisait, il manipulait machinalement le boulier posé sur le guéridon à sa droite, complètement absordé dans ses pensées. Puis, subitement résolu, il sortit l’enveloppe de la poche intérieure de son veston, et le tendit à Marie-Reine.
- Tenez, jetez donc un œil là-dessus. Je l’ai trouvée dans mon courrier hier en rentrant.
Marie-Reine s’assit face à lui, sortit la lettre et la parcourut avec attention.
- C’est l’œuvre d’un homme désespéré ! J’ignorais qu’il avait des problèmes avec la justice, mais je vois mal ce qui lui permettait d’espérer que vous le sortiriez de là. Vous ne le portiez pas particulièrement dans votre cœur, si j’ai bon souvenir.
- Pendant que j’étais en Europe, un détective m’a contacté. Je n’ai pas bien compris pour qui il travaillait au juste.
- Et que vous voulait-il, cet Hercule Poirot ?
- Me rencontrer, au sujet d’une enquête concernant Richard. Il semble qu’il aurait tué Geneviève, enfin, sa femme.” (AB)


(Suite de l’histoire n°5) “La Torre l’avait conduit jusqu’à son hôtel et lui avait indiqué, sur un plan, le chemin à suivre pour rejoindre l’université. Une fois débarrassé de son hôte, P. courut aux archives où il devait faire quelques menues vérifications pour finir le texte de sa conférence. Il se fraya un passage entre les hordes de touristes allemands devant la cathédrale, contourna le palais de justice, reconnut l’odeur du marché aux fleurs et arriva rapidement à destination. À l’entrée du bâtiment, un vigile tuait l’ennui en jouant avec un boulier. Il fouilla P., lui indiqua dans un catalan difficilement compréhensible l’escalier qui le conduirait à la salle principale des archives. Une dizaine d’individus à lunettes étaient penchés sur des manuscrits à la lueur d’un éclairage faiblard qui répondait aux nouvelles normes de protection des documents. P. demanda un pupitre et une loupe au responsable de la salle et attendit patiemment son manuscrit en s’amusant à spéculer sur les activités de ses voisins de table. ” (AF)

samedi 3 mars 2012

Page 1 (AF)

[compilation hebdomadaire des épisodes d'AF, qui forme la page 1 de son texte.]


Son avion pour Majorque décollait du Prat à huit heures. Barcelone s’éveillait à peine de la longue nuit de la Saint-Jean. Il faisait une chaleur accablante que n’avait pas dissipée l’orage de la veille. La ville était figée dans une sorte de torpeur. Pour la première fois depuis longtemps, F. n’avait pas participé à l’euphorie festive des pétards, des feux et des bals populaires. Elle avait contemplé le spectacle de la ville embrasée depuis Vallvidrera. Sur le chemin du Prat, elle regrettait de ne pas être allée chez Paul et Neus pour gagner quelques heures de sommeil, d’autant que le chat, qui avait passé la nuit à poursuivre des insectes (concrètement, une guêpe et un grillon) avant de les disposer cérémonieusement sur l’oreiller vide d’Alex, l’avait tout juste laissée dormir. F. aimait particulièrement ces voyages en taxi à l’aube qui la faisaient se sentir comme un explorateur d’espaces vierges. Au niveau des Drassanes et de l’aquarium, les voiliers amarrés et la statue de Colomb l’invitaient à des aventures maritimes. L’insistance du chauffeur l’arracha à sa rêverie. Était-elle sourde ? Par où voulait-elle donc passer ? La route était coupée par un arbre qu’avait fait tomber la foudre.
P. était dans une colère noire. Alors qu’il essayait de s’endormir (le lendemain il prenait le premier vol pour Majorque), la foudre était tombée sur le pin qui donnait de l’ombre en été à son bureau, et ses plantations de tomates avaient souffert de la chute de quelques branches. Il avait dû appeler la Sénatrice en pleine nuit (c’est comme ça qu’il appelait sa femme, on dira plus loin pourquoi) pour trouver la clef du cabanon où il gardait ses outils de jardinage. Quelle idée aussi de cadenasser cette porte ? La petite ville bourgeoise de Sant Cugat n’était tout de même pas encore aussi mal famée que Badalona, que l’on sache ! Il n’y avait finalement que le pommier qui résistait aux complots conjoints des intempéries et du paysagiste qu’avait engagé la Sénatrice pour remodeler le jardin. C’est qu’elle voulait une mare, oui, une mare ! Comme celle du parcours de golf. Un vrai nid à moustiques, tiens ! Comme s’il n’y en avait pas assez avec ceux du ruisseau d’à côté ! Et pourquoi pas des poissons et des tortues dedans, et un tipi pour la marmaille (c’est ainsi qu’il désignait les enfants de ses enfants)? Impossible de faire répondre la Sénatrice en pleine nuit dans son hôtel madrilène. P. décida donc d’appeler Marta (sa secrétaire). Après tout, c’était dans ses attributions d’assistante, n’est-ce pas ? Puis, avec la Saint-Jean, elle ne dormait sûrement pas.

- Rodriguez ! (il appelait toujours ses subalternes sèchement par leur nom de famille). Ramenez-vous ici !

-Oui, Professeur !
L’avion, à peine éclairé, était désert. F. en profita pour occuper une place à côté d’un hublot. Elle aimait voir, contempler la mer. Le pilote annonça que le départ serait retardé à cause de conditions défavorables (l’orage de la veille qui était maintenant sur les îles). Elle croqua une pomme en rêvassant. Elle repensait, amusée, au chat et à ses offrandes nocturnes (chaque nuit, depuis le départ d’Alex, il lui apportait un insecte différent) tout en se demandant ce qui l’attendait à Majorque. Alex la recevrait-il avec des fleurs ? (Elle n’aimait pas ces démonstrations d’affection en public). Y aurait-il des moutons comme à Minorque ? Elle revoyait la maison minorquine des parents de Neus, la fontaine, les brebis laineuses et l’herbe épaisse battue par les vents en hiver. Au moment du décollage, elle se rappela qu’elle avait oublié le fameux boulier qu’Alex lui avait demandé de lui porter.
Marre de ces conférences! On ne cesserait donc jamais de l’inviter ! Il s’évertuait pourtant à être insupportable partout où il allait et à faire la grimace à ses hôtes. P., qui devait professer l’après-midi même à l’Université des Baléares sur les masques dans le spectacle de cour, ruminait dans un coin de l’avion. Il avait laissé son édition du Lazarillo en pleine collation du témoignage M et abandonné ses tomates (décimées, malgré l’efficace sauvetage nocturne, lanterne en main, avec Marta) entre les mains du jardinier de la Sénatrice. Tout ça pour du théâtre ! Foutus théâtreux, tiens ! Le seul dramaturge qu’il aimait vraiment lire, c’était Aristophane. Il avait fait son mémoire de fin de cycle sur les Guêpes et abhorrait foncièrement le théâtre « moderne » (comprendre celui du XVIIe siècle) dont il était un éminent spécialiste. Bien entendu, il ne pouvait l’avouer à personne et pas même la Sénatrice n'était dans le secret. À force de ressassement, il s’endormit et si l’on avait pu forcer l’intimité de ses rêves, on y aurait vu des tomates, des incunables et un pin parasol foudroyé. Il n’avait pas à peine posé le pied à l’extérieur de l’avion que le directeur du département de Lettres vint à se rencontre et le salua d’une poignée de main ferme.
Pas de fleurs à l’arrivée, mais une mauvaise surprise. Envolés les rêves d’ « ensaimadas », le week-end romantique dans la maisonnette louée par Alex et ses hypothétiques brebis laineuses… En bonne française, elle avait toujours dit qu’Iberia était une bande d’incompétents. Elle avait atterri en Corse (une erreur de contrôle au moment de l’embarquement). Il n’y avait pas de connexion entre Ajaccio et Majorque. On lui conseillait le ferry nocturne ou un nouveau vol via Paris, dans un cas comme dans l’autre à ses frais (dans leur habituelle mauvaise foi, les gens d’Iberia avaient essayé de la convaincre qu’ils n’étaient pas responsables). Elle se retint de gifler l’hôtesse, réprima l’envie de voler sa canne au vieillard qui faisait la queue au comptoir derrière elle pour taper sur le steward, puis pensa à Colomb et aux voiliers du Vieux Port. Se sentant à nouveau des ailes d’aventurière, F. sortit d’un pas rapide du hall L et se dirigea vers le port pour acheter un billet Costa Concordia Ajaccio-Palma. Il venait de pleuvoir sur le port d’Ajaccio que surplombait un magnifique arc-en-ciel. Absorbée par la contemplation de la nature, elle s’imaginait déjà compter les étoiles filantes sur le pont pendant la nuit.


(à suivre)

AF