mercredi 29 février 2012

Episode 3

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “- Petite fleur... Je ne pouvais pas rester.... Mais... Attends ! Valentine, rappelle moi notre marché.
- Quel marché ?
- Tu te souviens, quand on était assises à côté de la fontaine, pas loin de chez Patrick et Marie, on mangeait des pommes, des Granny très acides, il y avait pas trop de lumière, le soleil faisait plus ampoule que feu, et tu m'as demandé pourquoi les moutons faisaient de la laine tu te souviens ? Et je t'avais raconté l'histoire de la brebis perdue en Sibérie. On avait passé un marché. "Tope là !" On s'est dit. "Marché conclu !" Et le soleil avait percé les nuages, comme un éclair.
- Oui ! Oui ! Je me souviens super bien ! On avait dit : "Maintenant, on répond pu, on raconte ! » Et je me souviens, ton œil a brillé très fort, et je savais que t'étais très contente.
- Oui, j'étais très contente.
Lorette attrape la main de Valentine, lui fait des chatouilles dans la paume, lève la tête. Elles se sourient, et Valentine se jette dans les bras de sa sœur en riant. Elle s'installe, blottie sur ses genoux, et Lorette caresse un peu ses cheveux dorés, étoiles filantes.
- Et bien, tu m'as demandé pourquoi j'étais partie de la maison. Je ne peux pas répondre, ce serait pas du jeu !
Silence. Valentine lève la tête et se tord un peu le cou, pour voir sa sœur, les yeux perdus dans le ruisseau. Un autre scarabée grimpe sur le pied de Lorette, qui retrouve le temps présent et sourit.
- Alors je vais te raconter une histoire.” (Jessica Thomas)


(Suite de l’histoire n°2) “Quand le vieux eut coupé le moteur du canot, il s'entendit appeler
depuis le quai :
"Hé, vieux ! Pèche interrompue, hein ? L'orage, hein ? Saleté de temps, hein ?"
Il n'eut pas besoin de tourner la tête pour reconnaître Hein le Cafard
- ainsi nommé, en partie, pour les interjections qui achevaient toutes
ses phrases par une note aigre et flûtée.
"Encore bredouille, hein ? J'ai entendu ton moteur crachoter, je me
suis dit : ça c'est le vieux qui va encore avoir besoin de faire
réviser son vieux moulin, peut-être même en changer, hein ? Pauvre
vieux, hein ?"
L'autre partie du surnom de Hein tenait aux qualités morales que
chacun s'accordait à lui prêter et qui ne laissaient jamais présager
rien de très bienveillant lorsqu'il vous saluait d'un commentaire
apitoyé.
"Besoin d'argent pour un moteur tout neuf, hein ? Mais moi j'aurais
bien besoin d'un petit tour dans un canot à moteur tout neuf, un de
ces jours, enfin une de ces nuits, hein ? Alors, vieux, un petit
verre, hein ?"
Le vieux monta sur le quai, s'arrêta un instant. À cet instant, il
aurait voulu que Hein le cafard, plus que toute autre chose au monde,
appartînt à la première catégorie, ou bien qu'il fût lui, le vieux,
dans la première catégorie du point de vue de Hein le Cafard, ou même,
tant qu'à souhaiter, qu'ils appartinssent à des mondes étrangers et
mutuellement aveugles. Mais il le suivit jusqu'à l'arrière-salle du
Mouton Tordu.” (Fr.)


(Suite de l’histoire n°3) “Afin que vous compreniez les raisons pour lesquelles je me suis attachée à Sabou, il convient de revenir sur les circonstances de notre rencontre. C'était il y a près de vingt ans à présent, l'été avait fini d'irriguer notre enfance de son insouciance et de sa torpeur, et nous nous apprêtions à reprendre le chemin de l'école. Et de notre troupeau d'enfants dépassait cette année-là une nouvelle tête, impassible derrière sa carapace. Ce n'est pas tant la couleur de la peau de Sabou Niyouma qui nous fascina que les consonances de son nom, expiration vaudou, vent de rêve et de savane qui nous entraînait bien au-delà de l'horizon clos et bitumé du quartier lorsque, lors de l'appel matinal, le maître prononçait son nom.” (Fabrice)


(Suite de l’histoire n°4) “L’énorme commandant Duboulier accueillit le professeur Duplessis dans un bureau aux proportions ridiculement exigües. Tout en plongeant ses babines repoussantes dans son gobelet de mauvais café, il lui fit décliner son identité et ses titres.

- Comme je vous le disais tantôt, nous enquêtons sur la mort de Richard Saute-Rivière.

- J’ignorais qu’il fut mort, rétorqua Duplessis. Me direz-vous ce qu’il s’est passé ?

- On l’a retrouvé il y a une quinzaine de jours, errant près de la fontaine Desjardins. Manifestement, il avait été passé à tabac. Après quelques jours d’hospitalisation, on l’a ramené chez lui. Il a refusé de porter plainte. Il attendait votre retour.

- Mon retour ? Mais pourquoi donc ?

- C’est à vous de nous le dire !

- Mais comment le pourrais-je ? Je n’en ai pas la moindre idée ! Saute-Rivière était devenu un parfait illuminé qui se prenait pour un parrain de la mafia. Allez donc plutôt enquêter auprès des hurluberlus en peaux de mouton dont il s’était entouré ces derniers temps ! J’ai coupé les ponts avec lui il y a bientôt dix ans, après le suicide de sa femme.

- Il n’a donc pas cherché à vous joindre récemment ?

- Absolument pas ! s’écria-t-il avec emportement.

La moindre hésitation lui aurait été fatale. Il n’était pas question que l’entretien avec ce gros morse en uniforme s’éternise. C’est pourquoi, tout en sentant palpiter contre sa poitrine la lettre qu’il avait lue dans le taxi en venant, il avait nié, catégoriquement, tout en sentant que ce premier mensonge risquait de le mener loin, sans doute beaucoup trop loin.

- Les relevés de communication indiquent pourtant qu’il a essayé de vous joindre à plusieurs reprises, reprit le commandant Douboulier, avec un air qu’il voulait fin, mais qui donnait plutôt à son visage l’expression d’un poupon constipé.

- J’étais en Europe pendant trois semaines, rétorqua Duplessis, il n’y avait personne, pas même le chat, et aucun message laissé sur le répondeur à mon retour.

- Toujours est-il qu’à présent, M. Saute-Rivière mange les pissenlits par la racine, et qu’avant d’en arriver là, il a réclamé votre présence.

- Comment est-il mort ? interrogea Duplessis

- Sa concierge a découvert le corps en bas de l’escalier au petit matin, la nuque rompue. On a simulé une chute, le rapport du médecin légiste est formel : il était mort depuis plus de vingt-quatre heures quand on l’a trouvé.

- Et savez-vous pourquoi il me réclamait ?

- Pas la moindre idée. J’espérais précisément que vous pourriez éclairer ma lanterne.” (AB)


(Suite de l’histoire n°5) “L’avion, à peine éclairé, était désert. F. en profita pour occuper une place à côté d’un hublot. Elle aimait voir, contempler la mer. Le pilote annonça que le départ serait retardé à cause de conditions défavorables (l’orage de la veille qui était maintenant sur les îles). Elle croqua une pomme en rêvassant. Elle repensait, amusée, au chat et à ses offrandes nocturnes (chaque nuit, depuis le départ d’Alex, il lui apportait un insecte différent) tout en se demandant ce qui l’attendait à Majorque. Alex la recevrait-il avec des fleurs ? (Elle n’aimait pas ces démonstrations d’affection en public). Y aurait-il des moutons comme à Minorque ? Elle revoyait la maison minorquine des parents de Neus, la fontaine, les brebis laineuses et l’herbe épaisse battue par les vents en hiver. Au moment du décollage, elle se rappela qu’elle avait oublié le fameux boulier qu’Alex lui avait demandé de lui porter.” (AF)


mardi 28 février 2012

Episode 2

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Allongées dans les marguerites, éblouies de soleil, Lorette et Valentine sourient. C'est une tradition. Quand Lorette revient à Sainte-Maure, elle prépare un panier, pain de campagne, jambon fumé, tomates, cornichons, pommes et jus de fruits, petits gâteaux et chocolat, et elle emmène Valentine pique-niquer. Elle aime sa petite sœur comme elle n'a jamais aimé. Et pendant ces après-midi sucrées-salées, si Valentine pose une question, Lorette ne répond pas. Elle raconte une histoire. Aujourd'hui, près du pont, au bord de la rivière où flamboient les poissons, Valentine a vu une abeille et un scarabée, posés sur un roseau, s'envoler en même temps, les ailes à l'unisson.
- Tu crois qu'elle retrouvera sa ruche, la petite abeille, Lorette ?
- J'en suis sûre ma doucette !
- Chouette !... Dis... Moi, j'aime trop quand t'es là... Pourquoi t'es partie de la maison, Lorette ?” (Jessica Thomas)


(Suite de l’histoire n°2) “Au large, le gros nuages noirs s'accumulaient, promettant l'orage :
première ou deuxième catégorie ? La foudre allait-elle le viser ou le
frapper par accident, ou les deux successivement ? Le vieux décida que
l'expérience ne lui apporterait pas la réponse et dirigea sa barque
vers la côte. Une heure après, il entrait dans l'estuaire, longeait le
campement sauvage des Chevelus Dévergondés - on les nommait ainsi, ils
ne s'en formalisaient pas - et s'amarra enfin au pied du
pont-au-couillon. On le nommait ainsi en hommage à l'édile qui l'avait
fait construire, c'était un pont mobile qui devait se relever pour
laisser passer les plus gros cargos et, une fois rabaissé, prendre sur
son dos les camions les plus fringants. Ces puissants véhicules
devaient apporter prospérité et croissance à toute la région. Mais le
pont mobile, dès l'inauguration, n'avait jamais voulu bouger, sinon
dans des directions et des proportions à peu près aléatoires qui
interdisaient également de le franchir avec autre chose qu'une
charrette à foin. D'une province en paisible déclin, le
pont-au-couillon avait fait un désert peuplé de vieux pêcheurs blasés
et de Chevelus Dévergondés.” (Fr.)


(Suite de l’histoire n°3) “Ce n'est que quelques semaines plus tard que les premières histoires furent édifiées, lorsque, de retour de leurs vacances au pays, les blédards rapportèrent nouvelles et ragots colportés sur la route : Sabou vivait désormais dans une hutte au plus profond de la forêt, il serait devenu pêcheur, pêcheur de truite ou de tortue, il aurait épousé une femme-jaguar, une sorcière noire qui l'aurait subjugué. Mais c'est leur fantaisie et non leur véracité qui contribuait à propager ces récits au sein de notre communauté, et force était de constater que, plus que jamais, la fleur du secret s'épanouissait comme une tumeur, dérobant à notre connaissance le destin de Sabou Niyouma.” (Fabrice)


(Suite de l’histoire n°4) “Un jour neuf se levait sur le quartier d’Outremont. Le professeur Duplessis, que le décalage horaire avait sorti du lit bien avant l’aurore, se tenait à son bureau et triait machinalement le courrier qui s’était accumulé pendant ses trois semaines d’absence. Sous les prospectus gondolés, une lettre dont le libellé avait été rédigé avec affectation attira son attention. L’écriture lui était par trop famillière – encore un coup de ce vieux Saute-Rivière. Richard Saute-Rivière, dont le combat politique en faveurs des droits des premières nations amérindiennes avait fait la gloire dans les années 70 au Québec, était un vieil ami. Ce genre de personnage charismatique, imprévisible et marginal, que la vie jette sur votre chemin à vingt ans, sans que vous vous doutiez qu’ils ne vous lâcheront plus, et que tout finira pas vous ramener à eux. Ils s’étaient connus sous un tipi, installé au milieu d’une quarantaine d’autres tentes sur le gazon propre des plaines d’Abraham, lors d’une manifestation de protestation à Québec. Saute-Rivière, torse-nu et plumes rituelles accrochées aux cheveux, haranguait la foule et exhibait son torse devant badauds et policiers, sous les gloussements enthousiastes des étudiantes en anthropologie qui s’étaient jointes à la partie. Parmi elles, Geneviève était sans doute la plus déterminée. Le professeur Duplessis la contemplait, transi d’amour, la suivant en bon chien fidèle d’une manifestation à l’autre dans toute la province. Moins d’un mois plus tard, la passionaria le plantait là pour rejoindre le grand Richard, partager ses engagements en faveur de la Justice et des laissers pour compte, son irrésistible ascension politique, et son lit.

Elle était morte depuis dix ans maintenant, des promeneurs avaient retrouvé son corps flottant sur le dos comme un gros poisson intoxiqué, dans le lac jouxtant leur chalet sur les bords de la rivière Rouge. Duplessis avait revu Richard à l’occasion des obsèques, et lui aurait volontiers fourré la tête dans la terre fraîchement retournée de ses propres mains. Geneviève s’était suicidée, après des années de vie de couple orageuses et jonchées de tromperies en tout genre, parvenue aux dernières extrêmités de l’alcoolisme et du dégoût de soi, chuchotait-on entre soi dans les allées du cimetière. Alors que le professeur Dupléssis ruminait sa rancœur toujours intacte devant l’enveloppe fermée, prêt à lui faire connaître le même sort que le reste de son courrier, le téléphone sonna. Sept heures moins le quart ! À part la police politique, qui pouvait bien appeler les braves gens si tôt ?

- M. Duplessis ?

- Lui-même.

- Ici les services de police de la ville de Montréal. Nous voudrions vous parler de l’affaire Saute-Rivière.

- Quelle affaire ?

- Vous connaissiez M. Richard Saute-Rivière ?

- Oui, enfin, un peu. De quoi s’agit-il ?

- L’autopsie indique que M. Saute-Rivière n’est pas mort…de manière naturelle.

- Saute-Rivière ? Mort ? Mais qu’est-ce que vous me chantez là ? Et qu’est-ce que j’ai avoir avec tout ça ?

- Justement, M. Duplessis, justement. Nous aimerions vous entendre.” (AB)


(Suite de l’histoire n°5) “P. était dans une colère noire. Alors qu’il essayait de s’endormir (le lendemain il prenait le premier vol pour Majorque), la foudre était tombée sur le pin qui donnait de l’ombre en été à son bureau, et ses plantations de tomates avaient souffert de la chute de quelques branches. Il avait dû appeler la Sénatrice en pleine nuit (c’est comme ça qu’il appelait sa femme, on dira plus loin pourquoi) pour trouver la clef du cabanon où il gardait ses outils de jardinage. Quelle idée aussi de cadenasser cette porte ? La petite ville bourgeoise de Sant Cugat n’était tout de même pas encore aussi mal famée que Badalona, que l’on sache ! Il n’y avait finalement que le pommier qui résistait aux complots conjoints des intempéries et du paysagiste qu’avait engagé la Sénatrice pour remodeler le jardin. C’est qu’elle voulait une mare, oui, une mare ! Comme celle du parcours de golf. Un vrai nid à moustiques, tiens ! Comme s’il n’y en avait pas assez avec ceux du ruisseau d’à côté ! Et pourquoi pas des poissons et des tortues dedans, et un tipi pour la marmaille (c’est ainsi qu’il désignait les enfants de ses enfants)? Impossible de faire répondre la Sénatrice en pleine nuit dans son hôtel madrilène. P. décida donc d’appeler Marta (sa secrétaire). Après tout, c’était dans ses attributions d’assistante, n’est-ce pas ? Puis, avec la Saint-Jean, elle ne dormait sûrement pas.

- Rodriguez ! (il appelait toujours ses subalternes sèchement par leur nom de famille). Ramenez-vous ici !

-Oui, Professeur !” (AF)

lundi 27 février 2012

Episode 1

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais sont les débuts de cinq récits distincts.]


(Début de l’histoire n°1) “Il était une fois une petite abeille. Elle était inquiète, car elle ne trouvait plus le chemin de sa ruche. Virevoltant, hésitante, parmi les fleurs, elle aperçut un gros scarabée bleu, qui lui sembla sage, et joli. Elle décida donc de lui faire part de son problème en ces termes:
- Monsieur scarabée, je suis bien inquiète. Je ne comprends pas. Habituellement, je retrouve ma ruche sans problème, mes antennes frétillent et mes ailes me guident, je n'ai pas à penser, et je suis arrivée. Mais aujourd'hui ! J'ai bien butiné, je m'apprêtais à rentrer, et rien ! Pas le moindre fourmillement interne me poussant dans telle ou telle direction. Alors je ne sais pas où aller. Je suis bien embêtée.
- Mmmh... Bon. Tu manques pas de culot, toi, dis moi ! Me déranger, comme ça... Mais bon. Comme j'ai pas l'habitude d'être abordé comme ça par des petites nanas, je veux bien t'aider. A quoi elle ressemble, ta ruche ?
- Elle est jaune, belle et grande, elle est accrochée à un grand arbre aux feuilles plates, qui nous offre comme des perles des milliers de fleurs blanches et sucrées.
- Un arbre tu dis ? Viens avec moi.
Les deux insectes s'envolèrent dans le ciel bleu. Loin, au-dessus, un avion traçait une double ligne blanche entre les nuages. Et tout était très beau.” (Jessica Thomas)


(Début de l’histoire n°2) “Le vieux regarda passer l'avion très haut au-dessus de sa tête - il ne
sera plus question d'avion, c'est trop cher - dans le meilleur des
cas, il y aura le récit d'une grève des agents de sécurité
aéroportuaires, avec des plans très rapprochés, très dramatiques, sur
les familles de cadres ligotées à des chaises de métal, la dernière
édition du journal quotidien posée sur les genoux et un gros flingue
posé sur la tempe, bref, pris en otages. Le vieux donc regarda passer
et disparaître de cette histoire l'avion, très haut au-dessus de sa
tête et tout à fait ignorant de lui, et se mit à classer mentalement
toutes les choses du monde : d'un côté celles qu'il pouvait voir mais
dont il n'était pas visible, de l'autre celles qui le pouvait voir en
retour, par exemple pour le piquer comme la bestiole ou être par lui
mangé comme le poisson. Au premier recensement, il y avait bien plus
de choses de la première catégorie. Quant aux choses qui le
regardaient sans qu'elles le vissent, il ne pouvait évidemment rien en
dire.” (Fr.)


(Début de l’histoire 3) “Certains habitants du quartier prétendaient qu'il était inutile d'essayer de comprendre la raison qui avait poussé Sabou à partir. Depuis son plus jeune âge, disaient-ils, Sabou n'avait jamais été comme les autres, et les enfants autrefois le regardaient déjà de travers, aux aguets, prêts à parer tout geste inattendu, voire agressif, qui pouvait brutalement sourdre de derrière sa carapace. Et voilà que, du jour au lendemain, il avait disparu de notre horizon… Quelle mouche l'avait piqué ? Les femmes, elles, penchaient pour une histoire de cœur, une de ces ruptures de passion qui vous dévaste le corps et l'âme, et ne vous laisse d'autre choix que d'abandonner le champ de bataille, désormais stérile, pour rebâtir au loin quelque chose de neuf. Tant d'inanités me laissaient songeur : comment peut-on passer autant de temps à côté d'un homme et le connaître aussi peu ? Pour la majorité des respectables habitants du quartier en tout cas, la disparition d'un personnage aussi peu conforme, aussi peu prévisible que Sabou Niyouma était avant tout un soulagement et, plongés dans un sommeil de truite, ils dormaient désormais sur leurs deux oreilles.” (Fabrice)


(Début de l’histoire n°4) “L’orage avait éclaté avec une telle violence que toute la salle d’embarquement fut réduite au silence. Au gré des éclairs, on voyait l’appareil cloué au sol, la soute béante, entouré de tous les petits et gros véhicules lunaires qui s’affairaient il y a encore un instant autour de lui pour le vidanger. Un gros scarabée gisant dévoré par des fourmis mécaniques qui n’en avaient laissé que la carapace luisante sous la pluie. Tant que la tempête ne se serait pas éloignée de quelques kilomètres, tous les employés devaient quitter le tarmac pour se mettre à l’abri. Le professeur Duplessis soupira en se rengonçant dans son siège. Il avait toujours détesté les aéroports et les voyages en avion, et celui-ci s’annonçait mal. Quand diable allait-il donc pouvoir enfin rentrer chez lui ? Au comptoir d’embarquement, les hôtesses et stewarts s’ennuyaient ferme. Sur les écrans surélevés qui parsemaient ce grand hall aux trois quarts vides, des images de vues aériennes de la forêt du Mont-Tremblant et de parties de pêche à la mouche défilaient entre deux bulletins d’information. On annonça au micro que l’embarquement pour le vol Londres-Montréal commencerait à 23h15. Monter enfin dans l’avion et dormir, c’était tout ce que le professeur Duplessis souhaitait. Il serait bien temps, demain, de réfléchir.” (AB)


(Début de l'histoire n°5) “Son avion pour Majorque décollait du Prat à huit heures. Barcelone s’éveillait à peine de la longue nuit de la Saint-Jean. Il faisait une chaleur accablante que n’avait pas dissipée l’orage de la veille. La ville était figée dans une sorte de torpeur. Pour la première fois depuis longtemps, F. n’avait pas participé à l’euphorie festive des pétards, des feux et des bals populaires. Elle avait contemplé le spectacle de la ville embrasée depuis Vallvidrera. Sur le chemin du Prat, elle regrettait de ne pas être allée chez Paul et Neus pour gagner quelques heures de sommeil, d’autant que le chat, qui avait passé la nuit à poursuivre des insectes (concrètement, une guêpe et un grillon) avant de les disposer cérémonieusement sur l’oreiller vide d’Alex, l’avait tout juste laissée dormir. F. aimait particulièrement ces voyages en taxi à l’aube qui la faisaient se sentir comme un explorateur d’espaces vierges. Au niveau des Drassanes et de l’aquarium, les voiliers amarrés et la statue de Colomb l’invitaient à des aventures maritimes. L’insistance du chauffeur l’arracha à sa rêverie. Était-elle sourde ? Par où voulait-elle donc passer ? La route était coupée par un arbre qu’avait fait tomber la foudre. ” (AF)