[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]

(Suite de l’histoire n°1) “Allongées dans les marguerites, éblouies de soleil, Lorette et Valentine sourient. C'est une tradition. Quand Lorette revient à Sainte-Maure, elle prépare un panier, pain de campagne, jambon fumé, tomates, cornichons, pommes et jus de fruits, petits gâteaux et chocolat, et elle emmène Valentine pique-niquer. Elle aime sa petite sœur comme elle n'a jamais aimé. Et pendant ces après-midi sucrées-salées, si Valentine pose une question, Lorette ne répond pas. Elle raconte une histoire. Aujourd'hui, près du pont, au bord de la rivière où flamboient les poissons, Valentine a vu une abeille et un scarabée, posés sur un roseau, s'envoler en même temps, les ailes à l'unisson.
- Tu crois qu'elle retrouvera sa ruche, la petite abeille, Lorette ?
- J'en suis sûre ma doucette !
- Chouette !... Dis... Moi, j'aime trop quand t'es là... Pourquoi t'es partie de la maison, Lorette ?” (Jessica Thomas)

(Suite de l’histoire n°2) “Au large, le gros nuages noirs s'accumulaient, promettant l'orage :
première ou deuxième catégorie ? La foudre allait-elle le viser ou le
frapper par accident, ou les deux successivement ? Le vieux décida que
l'expérience ne lui apporterait pas la réponse et dirigea sa barque
vers la côte. Une heure après, il entrait dans l'estuaire, longeait le
campement sauvage des Chevelus Dévergondés - on les nommait ainsi, ils
ne s'en formalisaient pas - et s'amarra enfin au pied du
pont-au-couillon. On le nommait ainsi en hommage à l'édile qui l'avait
fait construire, c'était un pont mobile qui devait se relever pour
laisser passer les plus gros cargos et, une fois rabaissé, prendre sur
son dos les camions les plus fringants. Ces puissants véhicules
devaient apporter prospérité et croissance à toute la région. Mais le
pont mobile, dès l'inauguration, n'avait jamais voulu bouger, sinon
dans des directions et des proportions à peu près aléatoires qui
interdisaient également de le franchir avec autre chose qu'une
charrette à foin. D'une province en paisible déclin, le
pont-au-couillon avait fait un désert peuplé de vieux pêcheurs blasés
et de Chevelus Dévergondés.” (Fr.)

(Suite de l’histoire n°3) “Ce n'est que quelques semaines plus tard que les premières histoires furent édifiées, lorsque, de retour de leurs vacances au pays, les blédards rapportèrent nouvelles et ragots colportés sur la route : Sabou vivait désormais dans une hutte au plus profond de la forêt, il serait devenu pêcheur, pêcheur de truite ou de tortue, il aurait épousé une femme-jaguar, une sorcière noire qui l'aurait subjugué. Mais c'est leur fantaisie et non leur véracité qui contribuait à propager ces récits au sein de notre communauté, et force était de constater que, plus que jamais, la fleur du secret s'épanouissait comme une tumeur, dérobant à notre connaissance le destin de Sabou Niyouma.” (Fabrice)

(Suite de l’histoire n°4) “Un jour neuf se levait sur le quartier d’Outremont. Le professeur Duplessis, que le décalage horaire avait sorti du lit bien avant l’aurore, se tenait à son bureau et triait machinalement le courrier qui s’était accumulé pendant ses trois semaines d’absence. Sous les prospectus gondolés, une lettre dont le libellé avait été rédigé avec affectation attira son attention. L’écriture lui était par trop famillière – encore un coup de ce vieux Saute-Rivière. Richard Saute-Rivière, dont le combat politique en faveurs des droits des premières nations amérindiennes avait fait la gloire dans les années 70 au Québec, était un vieil ami. Ce genre de personnage charismatique, imprévisible et marginal, que la vie jette sur votre chemin à vingt ans, sans que vous vous doutiez qu’ils ne vous lâcheront plus, et que tout finira pas vous ramener à eux. Ils s’étaient connus sous un tipi, installé au milieu d’une quarantaine d’autres tentes sur le gazon propre des plaines d’Abraham, lors d’une manifestation de protestation à Québec. Saute-Rivière, torse-nu et plumes rituelles accrochées aux cheveux, haranguait la foule et exhibait son torse devant badauds et policiers, sous les gloussements enthousiastes des étudiantes en anthropologie qui s’étaient jointes à la partie. Parmi elles, Geneviève était sans doute la plus déterminée. Le professeur Duplessis la contemplait, transi d’amour, la suivant en bon chien fidèle d’une manifestation à l’autre dans toute la province. Moins d’un mois plus tard, la passionaria le plantait là pour rejoindre le grand Richard, partager ses engagements en faveur de la Justice et des laissers pour compte, son irrésistible ascension politique, et son lit.
Elle était morte depuis dix ans maintenant, des promeneurs avaient retrouvé son corps flottant sur le dos comme un gros poisson intoxiqué, dans le lac jouxtant leur chalet sur les bords de la rivière Rouge. Duplessis avait revu Richard à l’occasion des obsèques, et lui aurait volontiers fourré la tête dans la terre fraîchement retournée de ses propres mains. Geneviève s’était suicidée, après des années de vie de couple orageuses et jonchées de tromperies en tout genre, parvenue aux dernières extrêmités de l’alcoolisme et du dégoût de soi, chuchotait-on entre soi dans les allées du cimetière. Alors que le professeur Dupléssis ruminait sa rancœur toujours intacte devant l’enveloppe fermée, prêt à lui faire connaître le même sort que le reste de son courrier, le téléphone sonna. Sept heures moins le quart ! À part la police politique, qui pouvait bien appeler les braves gens si tôt ?
- M. Duplessis ?
- Lui-même.
- Ici les services de police de la ville de Montréal. Nous voudrions vous parler de l’affaire Saute-Rivière.
- Quelle affaire ?
- Vous connaissiez M. Richard Saute-Rivière ?
- Oui, enfin, un peu. De quoi s’agit-il ?
- L’autopsie indique que M. Saute-Rivière n’est pas mort…de manière naturelle.
- Saute-Rivière ? Mort ? Mais qu’est-ce que vous me chantez là ? Et qu’est-ce que j’ai avoir avec tout ça ?
- Justement, M. Duplessis, justement. Nous aimerions vous entendre.” (AB)

(Suite de l’histoire n°5) “P. était dans une colère noire. Alors qu’il essayait de s’endormir (le lendemain il prenait le premier vol pour Majorque), la foudre était tombée sur le pin qui donnait de l’ombre en été à son bureau, et ses plantations de tomates avaient souffert de la chute de quelques branches. Il avait dû appeler la Sénatrice en pleine nuit (c’est comme ça qu’il appelait sa femme, on dira plus loin pourquoi) pour trouver la clef du cabanon où il gardait ses outils de jardinage. Quelle idée aussi de cadenasser cette porte ? La petite ville bourgeoise de Sant Cugat n’était tout de même pas encore aussi mal famée que Badalona, que l’on sache ! Il n’y avait finalement que le pommier qui résistait aux complots conjoints des intempéries et du paysagiste qu’avait engagé la Sénatrice pour remodeler le jardin. C’est qu’elle voulait une mare, oui, une mare ! Comme celle du parcours de golf. Un vrai nid à moustiques, tiens ! Comme s’il n’y en avait pas assez avec ceux du ruisseau d’à côté ! Et pourquoi pas des poissons et des tortues dedans, et un tipi pour la marmaille (c’est ainsi qu’il désignait les enfants de ses enfants)? Impossible de faire répondre la Sénatrice en pleine nuit dans son hôtel madrilène. P. décida donc d’appeler Marta (sa secrétaire). Après tout, c’était dans ses attributions d’assistante, n’est-ce pas ? Puis, avec la Saint-Jean, elle ne dormait sûrement pas.
- Rodriguez ! (il appelait toujours ses subalternes sèchement par leur nom de famille). Ramenez-vous ici !
-Oui, Professeur !” (AF)
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