
(Suite de l’histoire n°1) “L'an 2000. Imagine un peu ça Valentine, l'an 2000. On pensait que le monde allait changer, on avait plein de rêves, plein de peurs aussi, que la Lune viennent se poser ici, que toutes les machines meurent, des choses comme ça. Dans un village de Touraine, un grand bal sous les arbres illuminés. De la musique, des pas de danse, tout le monde ou presque s'était déguisé. Des masques tristes enlaçaient des masques gais, la petite fille virevoltait entre les jambes, folle de joie dans une robe à fleurs, un grand manteau, des chaussures rouges vernies et un bonnet. Et là, une main. Une main folle. A qui est la main ? Il y a bien cet homme triste, dans un coin, et là-bas, cet autre qui semble dormir, le visage plein d'alcool. Mais la petite fille cherche une main, une main méchante qui a soulevé sa jupe. Et toutes les mains se ressemblent. C'est là, à minuit, alors que le monde dansait, prêt à tous les changements, que tous les visages se sont mis, pour elle, à ressembler à d'énormes mains.” (Jessica Thomas)

(Suite de l’histoire n°2) “Le Bourdon A Trois Ailes - c'était le nom que préférait se donner
André - s'était éveillé un peu avant le jour pour aller pisser. Il
aimait mieux dire, et ce n'était pas faux, qu'il entrait ainsi en
communion avec la nature, l'arbre qu'il arrosait, la pointe du jour,
les petits crabes attardés qui s'enfuyaient sous son pas boitillant -
c'est sa claudication qui valait au Bourdon à Trois Ailes une partie
de son nom. Depuis qu'il passait ses soirées à boire du Thé Modifié à
la lueur des torches il n'avait pas pu dormir au-delà de l'aurore. Ce
n'est qu'après une demi heure, qu'il discerna la masse sombre sur la
plage.” (Fr.)

(Suite de l’histoire n°3) “Le comportement cyclothymique de Sabou introduisit d'emblée une distance avec les autres enfants, dont l'attitude à son égard oscillait entre la crainte et la fascination. En effet, le comportement du jeune garçon avait de quoi désarçonner : si certains jours ce dernier dormait avec une application remarquable tout au long de la journée, déjouant implacablement les efforts désespérés de Mademoiselle Pipeau afin de susciter chez lui une amorce d'intérêt, d'autres fois au contraire, il s'impliquait dans les débats de la façon la plus passionnée qui soit. Et de le voir rétorquer à la maîtresse que les marées n'étaient pas l'œuvre de la lune, mais d'un poisson géant lové au fond des eaux qui, inlassablement, avalait et recrachait l'eau, ne pouvait laisser de marbre ses condisciples. Toutefois, si ce genre d'affirmation faisait bien entendu naître la raillerie chez nombre d'entre eux, la moquerie se teintait également d'admiration face à la détermination que manifestait Sabou, et sa capacité à ne se laisser démonter en aucune circonstance. Une personnalité aussi forte effarouchait ma timidité, et je serais restée à distance de ce curieux garçon si les circonstances ne nous avaient pas rapprochés. Le destin prit la forme d'un eczéma tenace qui rongeait nos petites mains d'enfants et nous obligeait chacun à les badigeonner d'un liquide orangé apaisant, mais peu esthétique. Ainsi, à la première sortie, Mademoiselle Pipeau m'apostropha : « Et bien Joséphine, tu vois bien que personne ne veut se mettre avec toi, donne-donc la main à Sabou, il a le même problème que toi ! »” (Fabrice)

(Suite de l’histoire n°4) “Dans un appartement délabré de la rue St Laurent, juste au dessus du théâtre du Rideau Vert, trois drôles de gugusses s’étaient offert une grasse matinée. Le plus jeune, qu’on appelait Raton parce son père tenait une entreprise florrissante d’élimination de rongeurs défonseurs de poubelles, faisait un rêve incohérent, passant du rire aux larmes selon que la traque extra-terrestre dont il croyait être l’objet tournait ou non en sa faveur. Voilà qu’il s’envolait au-dessus de la cime des arbres, haletant et le cœur au bord de rompre – la fuite vers le haut ! ça y est ! il leur avait échappé !
Le soulagement fut cependant de courte durée, quelque chose venait de lui agripper la jambe et le ramenait au sol, il se propulsait de toute ses forces en sens contraire, mais on ne le lâchait pas, on serrait plus fort, quelque part en bas, très loin dans son corps. « Raton, grouille-toi donc ! » Réveillé en sursaut, Raton finit par ouvrir des yeux gros comme des soucoupes. La Pelure, qui avait encore la main sur sa cuisse, commençait à se fâcher, tandis que derrière lui, Nelson débarrassait la table des bouteilles de bière vides qui la jonchaient d’un grand mouvement de bras pour y poser son sac de voyage, y fourrant du linge et leurs trois lampes torches. « Lève-toi Raton ! C’est l’heure, on se tire ! »” (AB)

(Suite de l’histoire n°5) “Marre de ces conférences! On ne cesserait donc jamais de l’inviter ! Il s’évertuait pourtant à être insupportable partout où il allait et à faire la grimace à ses hôtes. P., qui devait professer l’après-midi même à l’Université des Baléares sur les masques dans le spectacle de cour, ruminait dans un coin de l’avion. Il avait laissé son édition du Lazarillo en pleine collation du témoignage M et abandonné ses tomates (décimées, malgré l’efficace sauvetage nocturne, lanterne en main, avec Marta) entre les mains du jardinier de la Sénatrice. Tout ça pour du théâtre ! Foutus théâtreux, tiens ! Le seul dramaturge qu’il aimait vraiment lire, c’était Aristophane. Il avait fait son mémoire de fin de cycle sur les Guêpes et abhorrait foncièrement le théâtre « moderne » (comprendre celui du XVIIe siècle) dont il était un éminent spécialiste. Bien entendu, il ne pouvait l’avouer à personne et pas même la Sénatrice n'était dans le secret. À force de ressassement, il s’endormit et si l’on avait pu forcer l’intimité de ses rêves, on y aurait vu des tomates, des incunables et un pin parasol foudroyé. Il n’avait pas à peine posé le pied à l’extérieur de l’avion que le directeur du département de Lettres vint à se rencontre et le salua d’une poignée de main ferme” (AF)
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