
[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]

(Suite de l’histoire n°1) “- Lorette, la petite fille, c'est toi ?
- Oui, c'est moi.
- Tu avais quel âge, en l'an 2000 ?
- J'avais cinq ans. Mais tu sais, c'est moi, mais c'était il y a longtemps, alors c'est aussi un personnage, comme dans les contes. Je réécris l'histoire, comme un arc-en-ciel redessine le ciel après la pluie. Mais il est tard, on doit rentrer. Je te raconte la suite demain ?
-Oh non ! J'ai pas envie de rentrer à la maison. Les parents ferment toujours les volets, on voit rien. Moi, j'ai envie que tu parles, et quand t'en auras marre, qu'on attende la lune et qu'on regarde si on trouve des étoiles filantes. Tu veux bien qu'on rentre pas ? Pas tout de suite ?
- On va se faire disputer tu sais. Surement on n'aura pas de dessert. Et maman a fait une mousse au chocolat.
- Je m'en fiche. Ici, on a des fleurs. On a tout.
- D'accord. Alors je continue. La petite fille a commencé à avoir peur. Peur de tout le monde. Le village n'était plus beau du tout. Les garçons, même les vieux avec des canes, ne savaient plus sourire. Ils ricanaient. Elle ne mettait plus du tout de jupe, même pour les faire tourner. Elle restait trop chez elle, dans cette maison aux volets clos, et elle perdait ses amis. On pensait qu'elle ne tournait pas rond. Elle, elle s'est mise à lire.” (Jessica Thomas)

(Suite de l’histoire n°2) “Le Bourdon-à-Trois-Ailes n'était pas bien sûr que la masse sombre fût
vraiment là. Plusieurs heures après son absorption, le Thé Modifié lui
avait déjà fait voir la plage couverte de limules mordorées ou un
castor à la place de la femme avec laquelle il avait passé la nuit. Le
récit de ces hallucinations, transformé, enrichi de détails plus
invraisemblables encore et étendu à l'ensemble des Chevelus
Dévergondés, courait la ville : "Y en a un qui a vu une vieille
chaudière à la place de son mari" disait une habitante à sa voisine,
qui inévitablement faisait mine, en pointant du menton vers son propre
mari, de trouver ça bien normal : c'était une vieille blague dont nul
n'aurait pu dire l'origine, sinon qu'elle ne pouvait remonter plus
haut que l'arrivée des Chevelus, quelques années après l'inauguration
ratée du Pont-au-Couillon.” (Fr.)
vraiment là. Plusieurs heures après son absorption, le Thé Modifié lui
avait déjà fait voir la plage couverte de limules mordorées ou un
castor à la place de la femme avec laquelle il avait passé la nuit. Le
récit de ces hallucinations, transformé, enrichi de détails plus
invraisemblables encore et étendu à l'ensemble des Chevelus
Dévergondés, courait la ville : "Y en a un qui a vu une vieille
chaudière à la place de son mari" disait une habitante à sa voisine,
qui inévitablement faisait mine, en pointant du menton vers son propre
mari, de trouver ça bien normal : c'était une vieille blague dont nul
n'aurait pu dire l'origine, sinon qu'elle ne pouvait remonter plus
haut que l'arrivée des Chevelus, quelques années après l'inauguration
ratée du Pont-au-Couillon.” (Fr.)

(Suite de l’histoire n°3) “C'est ainsi que, sur le chemin de la bibliothèque, je m'abandonnai pour la première fois à l'arc-en-ciel d'émotions contradictoires qui me traversaient le cœur. Nos pas s'accordaient et la marche me semblait danse, tempo tranquille sur le pavé. Sabou était-il aussi ému que moi ? Impossible à dire tant ses traits restaient impassibles. Le soir, lovée dans mon lit, je formulai le vœu de voir nos destins liés pour toujours et l'imaginai en prince chevauchant les étoiles et la lune. Mes rêves étaient d'autant plus fantaisistes que je n'avais encore échangé aucune parole avec Sabou car, si je lui tendais tout naturellement la main à chaque nouvelle sortie qui nous amenait à battre les trottoirs du quartier, c'est avec le même naturel que je lui tournais le dos à chaque récréation, emboitant lâchement le pas à mes condisciples qui avaient ostracisé ce garçon trop différent. Les circonstances allaient heureusement me donner l'occasion d'adopter un comportement dont je puisse être plus fier.” (Fabrice)

(Suite de l’histoire n°4) “Raton avait eu à peine le temps d’enfiler sa veste de mouton retourné, et ils s’étaient mis en route pour le chalet. L’idée était de se tenir tranquille quelques semaines, le temps de se faire oublier, que les choses se calment et que la police se désintéresse de l’affaire. On brûlerait les gants et les vêtements qui avaient servi à l’opération dans un coin à l’abri des regards, une fois la nuit tombée, puis on se répartirait le butin. Raton voulait partir refaire sa vie en Australie, ou peut-être bien en Nouvelle Zélande, ou même dans ces îles Vierges dont le seul nom suffisait à lui donner une érection. À ses pieds, sur le plancher de la voiture, son attention fut attirée par la vieille canne de Richard. Feu-Richard. Cette pensée le fit ricaner. « Eh les gars, on aura p’têt dû envoyer des fleurs à sa veuve ! » Nelson, au volant, pouffa dans sa cigarette. La Pelure, quant à lui, n’avait aucune envie de rire. « Ferme-la Raton, t’es vraiment trop épais. » Au loin, un barrage de police. Nelson laisser échapper un juron où il était question de femmes au mœurs légères. Impossible de faire demi-tour sans attirer la suspiscion, « vas-y roule, ralentis pas, pis laisse-moi parler surtout ! » lança La Pelure à Nelson, qui avait subitement verdi. Arrivés à la hauteur des policiers, ils s’arrêtèrent. « La 124 est inondée ! Faut passer par St Agathe pour la déviation ! » leur cria un fonctionnaire. La Pelure remercia de la main. Encore un barrage de castor qui avait cédé. Un bête barrage de castor. C’est tout ce qu’ils auraient à craindre désormais.” (AB)

(Suite de l’histoire n°5) “Pas de fleurs à l’arrivée, mais une mauvaise surprise. Envolés les rêves d’ « ensaimadas », le week-end romantique dans la maisonnette louée par Alex et ses hypothétiques brebis laineuses… En bonne française, elle avait toujours dit qu’Iberia était une bande d’incompétents. Elle avait atterri en Corse (une erreur de contrôle au moment de l’embarquement). Il n’y avait pas de connexion entre Ajaccio et Majorque. On lui conseillait le ferry nocturne ou un nouveau vol via Paris, dans un cas comme dans l’autre à ses frais (dans leur habituelle mauvaise foi, les gens d’Iberia avaient essayé de la convaincre qu’ils n’étaient pas responsables). Elle se retint de gifler l’hôtesse, réprima l’envie de voler sa canne au vieillard qui faisait la queue au comptoir derrière elle pour taper sur le steward, puis pensa à Colomb et aux voiliers du Vieux Port. Se sentant à nouveau des ailes d’aventurière, F. sortit d’un pas rapide du hall L et se dirigea vers le port pour acheter un billet Costa Concordia Ajaccio-Palma. Il venait de pleuvoir sur le port d’Ajaccio que surplombait un magnifique arc-en-ciel. Absorbée par la contemplation de la nature, elle s’imaginait déjà compter les étoiles filantes sur le pont pendant la nuit.” (AF)
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