[compilation hebdomadaire des épisodes de Jessica Thomas, qui forme la page 1 de son texte.]
Il était une fois une petite abeille. Elle était inquiète, car elle ne trouvait plus le chemin de sa ruche. Virevoltant, hésitante, parmi les fleurs, elle aperçut un gros scarabée bleu, qui lui sembla sage, et joli. Elle décida donc de lui faire part de son problème en ces termes:
- Monsieur scarabée, je suis bien inquiète. Je ne comprends pas. Habituellement, je retrouve ma ruche sans problème, mes antennes frétillent et mes ailes me guident, je n'ai pas à penser, et je suis arrivée. Mais aujourd'hui ! J'ai bien butiné, je m'apprêtais à rentrer, et rien ! Pas le moindre fourmillement interne me poussant dans telle ou telle direction. Alors je ne sais pas où aller. Je suis bien embêtée.
- Mmmh... Bon. Tu manques pas de culot, toi, dis moi ! Me déranger, comme ça... Mais bon. Comme j'ai pas l'habitude d'être abordé comme ça par des petites nanas, je veux bien t'aider. A quoi elle ressemble, ta ruche ?
- Elle est jaune, belle et grande, elle est accrochée à un grand arbre aux feuilles plates, qui nous offre comme des perles des milliers de fleurs blanches et sucrées.
- Un arbre tu dis ? Viens avec moi.
Les deux insectes s'envolèrent dans le ciel bleu. Loin, au-dessus, un avion traçait une double ligne blanche entre les nuages. Et tout était très beau.
Allongées dans les marguerites, éblouies de soleil, Lorette et Valentine sourient. C'est une tradition. Quand Lorette revient à Sainte-Maure, elle prépare un panier, pain de campagne, jambon fumé, tomates, cornichons, pommes et jus de fruits, petits gâteaux et chocolat, et elle emmène Valentine pique-niquer. Elle aime sa petite sœur comme elle n'a jamais aimé. Et pendant ces après-midi sucrées-salées, si Valentine pose une question, Lorette ne répond pas. Elle raconte une histoire. Aujourd'hui, près du pont, au bord de la rivière où flamboient les poissons, Valentine a vu une abeille et un scarabée, posés sur un roseau, s'envoler en même temps, les ailes à l'unisson.
- Tu crois qu'elle retrouvera sa ruche, la petite abeille, Lorette ?
- J'en suis sûre ma doucette !
- Chouette !... Dis... Moi, j'aime trop quand t'es là... Pourquoi t'es partie de la maison, Lorette ?
- Petite fleur... Je ne pouvais pas rester.... Mais... Attends ! Valentine, rappelle moi notre marché.
- Quel marché ?
- Tu te souviens, quand on était assises à côté de la fontaine, pas loin de chez Patrick et Marie, on mangeait des pommes, des Granny très acides, il y avait pas trop de lumière, le soleil faisait plus ampoule que feu, et tu m'as demandé pourquoi les moutons faisaient de la laine tu te souviens ? Et je t'avais raconté l'histoire de la brebis perdue en Sibérie. On avait passé un marché. "Tope là !" On s'est dit. "Marché conclu !" Et le soleil avait percé les nuages, comme un éclair.
- Oui ! Oui ! Je me souviens super bien ! On avait dit : "Maintenant, on répond pu, on raconte ! » Et je me souviens, ton œil a brillé très fort, et je savais que t'étais très contente.
- Oui, j'étais très contente.
Lorette attrape la main de Valentine, lui fait des chatouilles dans la paume, lève la tête. Elles se sourient, et Valentine se jette dans les bras de sa sœur en riant. Elle s'installe, blottie sur ses genoux, et Lorette caresse un peu ses cheveux dorés, étoiles filantes.
- Et bien, tu m'as demandé pourquoi j'étais partie de la maison. Je ne peux pas répondre, ce serait pas du jeu !
Silence. Valentine lève la tête et se tord un peu le cou, pour voir sa sœur, les yeux perdus dans le ruisseau. Un autre scarabée grimpe sur le pied de Lorette, qui retrouve le temps présent et sourit.
- Alors je vais te raconter une histoire.
L'an 2000. Imagine un peu ça Valentine, l'an 2000. On pensait que le monde allait changer, on avait plein de rêves, plein de peurs aussi, que la Lune viennent se poser ici, que toutes les machines meurent, des choses comme ça. Dans un village de Touraine, un grand bal sous les arbres illuminés. De la musique, des pas de danse, tout le monde ou presque s'était déguisé. Des masques tristes enlaçaient des masques gais, la petite fille virevoltait entre les jambes, folle de joie dans une robe à fleurs, un grand manteau, des chaussures rouges vernies et un bonnet. Et là, une main. Une main folle. A qui est la main ? Il y a bien cet homme triste, dans un coin, et là-bas, cet autre qui semble dormir, le visage plein d'alcool. Mais la petite fille cherche une main, une main méchante qui a soulevé sa jupe. Et toutes les mains se ressemblent. C'est là, à minuit, alors que le monde dansait, prêt à tous les changements, que tous les visages se sont mis, pour elle, à ressembler à d'énormes mains.
- Lorette, la petite fille, c'est toi ?
- Oui, c'est moi.
- Tu avais quel âge, en l'an 2000 ?
- J'avais cinq ans. Mais tu sais, c'est moi, mais c'était il y a longtemps, alors c'est aussi un personnage, comme dans les contes. Je réécris l'histoire, comme un arc-en-ciel redessine le ciel après la pluie. Mais il est tard, on doit rentrer. Je te raconte la suite demain ?
-Oh non ! J'ai pas envie de rentrer à la maison. Les parents ferment toujours les volets, on voit rien. Moi, j'ai envie que tu parles, et quand t'en auras marre, qu'on attende la lune et qu'on regarde si on trouve des étoiles filantes. Tu veux bien qu'on rentre pas ? Pas tout de suite ?
- On va se faire disputer tu sais. Surement on n'aura pas de dessert. Et maman a fait une mousse au chocolat.
- Je m'en fiche. Ici, on a des fleurs. On a tout.
- D'accord. Alors je continue. La petite fille a commencé à avoir peur. Peur de tout le monde. Le village n'était plus beau du tout. Les garçons, même les vieux avec des canes, ne savaient plus sourire. Ils ricanaient. Elle ne mettait plus du tout de jupe, même pour les faire tourner. Elle restait trop chez elle, dans cette maison aux volets clos, et elle perdait ses amis. On pensait qu'elle ne tournait pas rond. Elle, elle s'est mise à lire.
- Monsieur scarabée, je suis bien inquiète. Je ne comprends pas. Habituellement, je retrouve ma ruche sans problème, mes antennes frétillent et mes ailes me guident, je n'ai pas à penser, et je suis arrivée. Mais aujourd'hui ! J'ai bien butiné, je m'apprêtais à rentrer, et rien ! Pas le moindre fourmillement interne me poussant dans telle ou telle direction. Alors je ne sais pas où aller. Je suis bien embêtée.
- Mmmh... Bon. Tu manques pas de culot, toi, dis moi ! Me déranger, comme ça... Mais bon. Comme j'ai pas l'habitude d'être abordé comme ça par des petites nanas, je veux bien t'aider. A quoi elle ressemble, ta ruche ?
- Elle est jaune, belle et grande, elle est accrochée à un grand arbre aux feuilles plates, qui nous offre comme des perles des milliers de fleurs blanches et sucrées.
- Un arbre tu dis ? Viens avec moi.
Les deux insectes s'envolèrent dans le ciel bleu. Loin, au-dessus, un avion traçait une double ligne blanche entre les nuages. Et tout était très beau.
Allongées dans les marguerites, éblouies de soleil, Lorette et Valentine sourient. C'est une tradition. Quand Lorette revient à Sainte-Maure, elle prépare un panier, pain de campagne, jambon fumé, tomates, cornichons, pommes et jus de fruits, petits gâteaux et chocolat, et elle emmène Valentine pique-niquer. Elle aime sa petite sœur comme elle n'a jamais aimé. Et pendant ces après-midi sucrées-salées, si Valentine pose une question, Lorette ne répond pas. Elle raconte une histoire. Aujourd'hui, près du pont, au bord de la rivière où flamboient les poissons, Valentine a vu une abeille et un scarabée, posés sur un roseau, s'envoler en même temps, les ailes à l'unisson.
- Tu crois qu'elle retrouvera sa ruche, la petite abeille, Lorette ?
- J'en suis sûre ma doucette !
- Chouette !... Dis... Moi, j'aime trop quand t'es là... Pourquoi t'es partie de la maison, Lorette ?
- Petite fleur... Je ne pouvais pas rester.... Mais... Attends ! Valentine, rappelle moi notre marché.
- Quel marché ?
- Tu te souviens, quand on était assises à côté de la fontaine, pas loin de chez Patrick et Marie, on mangeait des pommes, des Granny très acides, il y avait pas trop de lumière, le soleil faisait plus ampoule que feu, et tu m'as demandé pourquoi les moutons faisaient de la laine tu te souviens ? Et je t'avais raconté l'histoire de la brebis perdue en Sibérie. On avait passé un marché. "Tope là !" On s'est dit. "Marché conclu !" Et le soleil avait percé les nuages, comme un éclair.
- Oui ! Oui ! Je me souviens super bien ! On avait dit : "Maintenant, on répond pu, on raconte ! » Et je me souviens, ton œil a brillé très fort, et je savais que t'étais très contente.
- Oui, j'étais très contente.
Lorette attrape la main de Valentine, lui fait des chatouilles dans la paume, lève la tête. Elles se sourient, et Valentine se jette dans les bras de sa sœur en riant. Elle s'installe, blottie sur ses genoux, et Lorette caresse un peu ses cheveux dorés, étoiles filantes.
- Et bien, tu m'as demandé pourquoi j'étais partie de la maison. Je ne peux pas répondre, ce serait pas du jeu !
Silence. Valentine lève la tête et se tord un peu le cou, pour voir sa sœur, les yeux perdus dans le ruisseau. Un autre scarabée grimpe sur le pied de Lorette, qui retrouve le temps présent et sourit.
- Alors je vais te raconter une histoire.
L'an 2000. Imagine un peu ça Valentine, l'an 2000. On pensait que le monde allait changer, on avait plein de rêves, plein de peurs aussi, que la Lune viennent se poser ici, que toutes les machines meurent, des choses comme ça. Dans un village de Touraine, un grand bal sous les arbres illuminés. De la musique, des pas de danse, tout le monde ou presque s'était déguisé. Des masques tristes enlaçaient des masques gais, la petite fille virevoltait entre les jambes, folle de joie dans une robe à fleurs, un grand manteau, des chaussures rouges vernies et un bonnet. Et là, une main. Une main folle. A qui est la main ? Il y a bien cet homme triste, dans un coin, et là-bas, cet autre qui semble dormir, le visage plein d'alcool. Mais la petite fille cherche une main, une main méchante qui a soulevé sa jupe. Et toutes les mains se ressemblent. C'est là, à minuit, alors que le monde dansait, prêt à tous les changements, que tous les visages se sont mis, pour elle, à ressembler à d'énormes mains.
- Lorette, la petite fille, c'est toi ?
- Oui, c'est moi.
- Tu avais quel âge, en l'an 2000 ?
- J'avais cinq ans. Mais tu sais, c'est moi, mais c'était il y a longtemps, alors c'est aussi un personnage, comme dans les contes. Je réécris l'histoire, comme un arc-en-ciel redessine le ciel après la pluie. Mais il est tard, on doit rentrer. Je te raconte la suite demain ?
-Oh non ! J'ai pas envie de rentrer à la maison. Les parents ferment toujours les volets, on voit rien. Moi, j'ai envie que tu parles, et quand t'en auras marre, qu'on attende la lune et qu'on regarde si on trouve des étoiles filantes. Tu veux bien qu'on rentre pas ? Pas tout de suite ?
- On va se faire disputer tu sais. Surement on n'aura pas de dessert. Et maman a fait une mousse au chocolat.
- Je m'en fiche. Ici, on a des fleurs. On a tout.
- D'accord. Alors je continue. La petite fille a commencé à avoir peur. Peur de tout le monde. Le village n'était plus beau du tout. Les garçons, même les vieux avec des canes, ne savaient plus sourire. Ils ricanaient. Elle ne mettait plus du tout de jupe, même pour les faire tourner. Elle restait trop chez elle, dans cette maison aux volets clos, et elle perdait ses amis. On pensait qu'elle ne tournait pas rond. Elle, elle s'est mise à lire.
(à suivre)
Jessica Thomas
Jessica Thomas
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