dimanche 4 mars 2012

Episode 6


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “- Oh ! Elle avait appris à lire ? Toute seule ? Elle lisait quoi ?
- Hihi ! Dis-donc, t'es drôlement impatiente d'un coup toi ! Oui, elle avait appris à lire. En observant les adultes, en posant un gros point d'interrogation sur son visage devant chaque panneau publicitaire, chaque enseigne de magasin, pour que sa maman lui dise le mot magique : "Epicerie", "L'Oréal". Et elle répétait tout doucement, très lentement, en regardant le mot avec les yeux plissés, très sérieusement : "é-pi-ce-rie." Et ça avait marché. Par contre, ce qu'elle lisait ! Tout et n'importe quoi, vraiment ! Portenaouak !
- Hi hi ! Dis, dis ! Qu'est-ce qu'elle lisait !
- Bien enfermée dans sa chambre transformée en petit donjon perso, à la lueur d'une ampoule pas toujours bien vaillante, elle s'est d'abord attaquée aux histoires de détectives. Pas du Sherlock Holmes, non ! Des histoires pour enfant trouvées à la bibliothèque, gonflées de traces de pas dans la boue et de loupes révélatrices de gouttes de sang et de cheveux, des histoires mal ficelées, aux personnages un peu niais, mais des histoires. Un peu enflammée par tout ça, elle a décidé d'abandonner le rayon enfants. Elle lisait alors des livres sur les plantes et les animaux, des trucs scientifiques incompréhensibles sur des machines et des planètes, tout ce qu'elle ramassait chez les adultes. Mais les histoires lui manquent. C'est à ce moment-là qu'elle rencontre Françoise.” (Jessica Thomas)


(Suite de l’histoire n°2) “Avec ses discours ampoulés, Hein-le-Cafard voulait sûrement lui jeter
un tour. Le vieux pourtant se défendait pied à pied, mais chaque fois
qu'il objectait quelque chose, le Cafard prétendant lui faire une
fleur, empoignait son boulier pour lui calculer une plus grande part
des bénéfices. À la loupe, le vieux scrutait les clauses tacites et
funestes, pressait Hein de questions, tout en guettant furtivement aux
alentours, craignant et espérant à la fois identifier une balance
notoire. Et puis, il y avait dans son crâne tête comme un sifflement
exténuant, les lui mots venaient à l'esprit et à la bouche dans un
ordre et une forme étranges et confusément menaçants.
"Troublé, le vieux, hein ? Tu sens ça, toi aussi, dans ta tête, hein ?
C'est la Chose : rien que d'en parler, déjà, elle agit, hein ? Mais la
nuit prochaine elle sera à nous, hein ?"” (Fr.)


(Suite de l’histoire n°3) “Les cours de gymnastique avaient permis de mettre en avant les talents acrobatiques de Sabou, en particulier l'agilité déconcertante avec laquelle il grimpait à la corde, et je me faisais fort de démontrer à mes camarades que ses capacités physiques hors normes étaient indispensables à notre petite bande. Le terme bande est ici à comprendre dans celui de Louis Pergaud lorsqu'il imagina sa très rabelaisienne Guerre des boutons. Nous étions une assemblée d'enfants rangés sous la même bannière et, comme toute bande qui se respecte, nous combattions un adversaire digne de nos dix ans, en l'occurrence les rejetons d'un camp gitan installé sur un terrain vague qui jouxtait le quartier. Dans nos esprits bouillonnant d'imagination, les arbres devenaient forteresse, la moindre trace de pas dans la boue donnait lieu à une enquête serrée et, si les confrontations directes avec les jeunes gitans étaient des plus rares, nous vivions un état de guerre permanent autant rêvé que vécu. Et, comme pour toute guerre, l'important est le renseignement, je démontrai à mes camarades que l'agilité de Sabou Niyouma, qui lui permettait d'atteindre le faîte des arbres surplombant le camp manouche, faisait de lui un espion de premier choix.” (Fabrice)


(Suite de l’histoire n°4) “Sur le chemin du retour, le professeur Duplessis se fit arrêter au pied de la grande tour d’habitations du 3456 de la rue Sherbrooke. Il était temps qu’il récupère son vieux chat, Maurice, qu’il avait laissé en pension avant son voyage en Europe, chez sa vieille amie Marie-Reine. Un bouquet de fleurs en main, il se présenta à la porte de son appartement. L’ancienne bénédictine défroquée l’accueillit avec effusion, abandonnant la partie d’échec qu’elle était en train de jouer contre elle-même. Duplessis n’avait jamais bien compris comment il était possible de se livrer à des jeux de stratégie contre soi-même – où était le plaisir d’ourdir secrètement des plans, d’anticiper les intentions et les ruses de l’adversaire, et surtout, le plaisir de gagner ?
- Quelles nouvelles de la vieille Europe ? s’enquit-elle en arrangeant les fleurs dans un vase.
- Moins spectaculaires que celles que je viens d’apprendre ce matin. Saviez-vous, pour Saute-Rivière ?
- J’ai appris ça dans le journal.
Le professeur Duplessis se taisait, il manipulait machinalement le boulier posé sur le guéridon à sa droite, complètement absordé dans ses pensées. Puis, subitement résolu, il sortit l’enveloppe de la poche intérieure de son veston, et le tendit à Marie-Reine.
- Tenez, jetez donc un œil là-dessus. Je l’ai trouvée dans mon courrier hier en rentrant.
Marie-Reine s’assit face à lui, sortit la lettre et la parcourut avec attention.
- C’est l’œuvre d’un homme désespéré ! J’ignorais qu’il avait des problèmes avec la justice, mais je vois mal ce qui lui permettait d’espérer que vous le sortiriez de là. Vous ne le portiez pas particulièrement dans votre cœur, si j’ai bon souvenir.
- Pendant que j’étais en Europe, un détective m’a contacté. Je n’ai pas bien compris pour qui il travaillait au juste.
- Et que vous voulait-il, cet Hercule Poirot ?
- Me rencontrer, au sujet d’une enquête concernant Richard. Il semble qu’il aurait tué Geneviève, enfin, sa femme.” (AB)


(Suite de l’histoire n°5) “La Torre l’avait conduit jusqu’à son hôtel et lui avait indiqué, sur un plan, le chemin à suivre pour rejoindre l’université. Une fois débarrassé de son hôte, P. courut aux archives où il devait faire quelques menues vérifications pour finir le texte de sa conférence. Il se fraya un passage entre les hordes de touristes allemands devant la cathédrale, contourna le palais de justice, reconnut l’odeur du marché aux fleurs et arriva rapidement à destination. À l’entrée du bâtiment, un vigile tuait l’ennui en jouant avec un boulier. Il fouilla P., lui indiqua dans un catalan difficilement compréhensible l’escalier qui le conduirait à la salle principale des archives. Une dizaine d’individus à lunettes étaient penchés sur des manuscrits à la lueur d’un éclairage faiblard qui répondait aux nouvelles normes de protection des documents. P. demanda un pupitre et une loupe au responsable de la salle et attendit patiemment son manuscrit en s’amusant à spéculer sur les activités de ses voisins de table. ” (AF)

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